La veille du départ, le parcours est enfin dévoilé. Plus de 1000 kilomètres et 17 000 mètres de dénivelé positif, dont plus de 30% de gravel. Certains secteurs s’étirent sur plusieurs dizaines de kilomètres sans la moindre source d’eau. La météo annonce une chaleur écrasante, avec plus de 40°C attendus dans les déserts l’après-midi, 12°C au sommet des cols à 2600 mètres, et des orages dès le mardi. Autant dire qu’il faudra avancer vite pour éviter de se retrouver piégé.
Je passe une partie de la nuit à analyser le tracé, à pointer les passages stratégiques et à réfléchir aux différentes options. Puis j’essaie de trouver quelques heures de sommeil, conscient que le départ approche.
Dimanche matin, 8h, Marrakech. Le BikingMan X s’élance. L’air est encore supportable, mais je sais que la chaleur viendra vite écraser les reliefs. Mon plan est clair : économiser mes forces en journée, réduire les pauses, et profiter de la fraîcheur du matin, du soir et de la nuit pour augmenter le rythme.
Les premiers 150 kilomètres se déroulent ainsi, sans grandes sensations mais avec régularité. Puis vient la première grande section gravel : 44km de piste quasi impraticable. Montées à pied, descentes cassantes, mais j’arrive à doubler plusieurs concurrents et me retrouve provisoirement 4e.
La sanction mécanique
Au kilomètre 180, la piste s’améliore. J’appuie un peu plus… punition immédiate : pneu arrière explosé. Une déchirure de 4cm, presque irréparable dans des conditions normales. La chaleur, le moral qui s’effrite… l’idée de continuer 800km avec un montage aléatoire relève de l’illusion. Je comprends vite : c’est fini.
Pendant ce temps, les autres passent. Certains me demandent de l’eau ou un gel ; nous sommes en plein désert, sur une section de 70km sans ravitaillement. Je donne tout ce que je peux.
L’organisation m’informe qu’aucune voiture ne peut accéder à la piste. Seule option : marcher 20 km jusqu’à la route.
Avancer...
Je pousse mon vélo chargé d’environ 15kg, mes chaussures avec des semelles carbone sont totalement inadaptées. Les douleurs montent vite : brûlures, cloques, un ongle du pouce qui se décolle : chaque pas devient une torture. L’idée de continuer pieds nus sur les cailloux me traverse l’esprit, mais la présence d’insectes ; araignées, scarabées, et même un scorpion ; m’oblige à garder mes chaussures. La nuit tombe, mon GPS se met en veille parce que je ne marche pas assez vite ; je perds la trace un instant, puis la retrouve après un petit détour.
Vers 1h du matin, au terme d’environ 12km de marche, je m’arrête sur une colline. Sans eau, je m’allonge sur un sol encore chaud, le vent se renforçant autour de moi. Le ciel, d’une pureté rare, déroule la Voie lactée. Un instant beau et cruel à la fois. Un moment de beauté paradoxale, mais je sais que ma course est terminée.
Aux alentours de 2h, Axel me retrouve avec deux Race Angels et David, le photographe. On charge le vélo dans le 4×4 et, tant bien que mal, on quitte cette piste. Pour moi, c’est la fin.
L’histoire inachevée
Tout ça pour ça… Une année de sacrifices, une année où ma famille a beaucoup donné. Mes enfants ont accepté que leur père parte souvent s’entraîner, parte parfois longtemps, rentre fatigué. Ma future femme a supporté les absences, les contraintes, les weekends écourtés. Mes potes aussi ont été mis de côté. J’ai vécu cette préparation en pensant à eux, pour leur prouver que les efforts finissent par payer.
Et pourtant, au Maroc, l’aventure s’est arrêtée au kilomètre 192. J’ai dû rendre mon tracker. Un geste qui met fin à la course, et qui m’exclut du championnat sans retour possible.
Sportivement, humainement
Sportivement, il faut reconnaître qu’André Fróes (Brésil) était plus solide sur cette manche. Malgré ses ennuis mécaniques, il a su repartir et tenir. De ce côté-là, mes regrets sont limités.
C’est ailleurs que la blessure est plus profonde. Cette étape représentait bien plus qu’une course : c’était un objectif majeur. Deux ans après mon syndrome de Guillain-Barré, je voulais boucler la boucle, refermer l’histoire BikingMan par la grande porte. Je m’étais imaginé franchir la ligne sous les yeux de ma future femme, qui avait fait le déplacement, et penser à mes enfants, à ma famille, à mes amis au moment de lever les bras. Mais l’histoire s’arrête plus tôt, inachevée. Il reste encore quelque chose à écrire.
Des rencontres qui restent
Reste l’essentiel : les rencontres.
Le talent et la gentillesse de Greg Cassini et Edwige Pitel. L’expérience exemplaire de Benjamin Bodot. L’énergie et la jeunesse de Marc Hamelin.
Les moments vrais avec nos « colocs » de l’Oasis Lodge : Mathieu, Jean-Claude, Frédéric… simples, entiers et droits.
Et Vincent, « Jésus », discret, humble, toujours juste dans ses mots.
Enfin, tous ces concurrents qui m’ont dépassé en m’adressant un mot, un regard ou un geste de soutien. Cette bienveillance, cette humanité-là, restera gravée.
Conclusion
La boucle n’est pas bouclée. Il manque un chapitre.
Le BikingMan Maroc restera comme une histoire inachevée, mais aussi comme un rappel : dans l’ultra, rien n’est acquis.
Reste maintenant à découvrir comment écrire la suite…