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Valberg. Une station nichée au cœur des Alpes Maritimes. Lieu de villégiature en hiver, mais théâtre d’une toute autre atmosphère en ce début d’été. Cette fois, on ne vient pas ici pour le ski. On vient pour le silence de la montagne, pour le souffle court des cols, pour l’épreuve du 555. Une version plus compacte, mais loin d’être plus simple, du BikingMan : 500 km pour 12 000 m de D+, le tout sur des sentiers, des routes secondaires, et des pistes à faire rougir les mollets.

Quand je regarde le profil, je sais que je vais sortir de ma zone de confort. Avec mes 90 kg et mon physique pas vraiment taillé pour ces pourcentages, je m’attends à souffrir. C’est un peu ce que je viens chercher… Briser les automatismes, casser les routines, voir ce que le corps accepte, et ce que la tête refuse d’abandonner.

Cette fois, j’ai pris une autre approche. Pas de chrono comme obsession. Pas de planning précis. Mon objectif, c’est de rouler à l’instinct. Sentir le vent, la pente, les coups de mou. Ne pas me précipiter. Et, dans l’idéal, tout boucler en moins de deux jours en ayant pointer quelques points d’eau stratégiques.

Jour 1 – Une mise en jambe piégeuse

Le départ a lieu à 7h00. Les vagues se succèdent, par niveau. J’aime bien ce format : les plus rapides partent en dernier. Du coup, les premiers kilomètres deviennent presque festifs. On croise, on s’encourage, on dépasse dans une ambiance bienveillante. Un petit mot, un regard, et déjà, on sent qu’on est dans le même bateau. Peu importe le niveau, on sait tous qu’on va en baver.

Après une descente fraîche et rapide, les choses sérieuses commencent. D’abord quelques petites montées douces, sur pistes et routes secondaires. Puis le terrain commence à trier. Je me retrouve dans un petit groupe éclaté, chacun à une dizaine de mètres. J’alterne entre me caler sur le rythme et chercher mes repères.

Et là, boulette : Je suis un coureur qui a l’air sûr de lui. Je le suis dans une descente. Mon GPS bippe. Mauvaise trace. Le terrain devient chaotique, une piste noire de ski, version cailloux et poussière. Le Hollandais qui me suit me hurle un « Stop ! »… lui aussi s’étant laissé embarquer. On fait demi-tour à pied. Plusieurs centaines de mètres à pousser. La pente est rude, le moral prend une première claque.

Retour sur la bonne trace. Je me reconcentre. Je double à nouveau ceux qui m’avaient passé. Je retrouve un tempo plus propre. Je finis par rouler avec Sladian, un gars de Saint-Étienne. Super échange. On parle de tout, de nos boulots, de nos visions de la vie. Il a cette lucidité tranquille, ces mots justes qu’on retient dans les moments de creux. On partage presque 40 km, avant qu’il ne s’échappe dans une montée où son profil grimpeur son clairement a son avantage.

Sladian – Une rencontre simple, brute, essentielle.

Sladian. Un prénom que je n’oublierai pas. Sa présence dans l’effort m’a marqué plus qu’aucune autre cette année. D’un abord simple, il dégage cette forme de paix intérieure rare dans ce genre d’épreuve. Peu de mots, mais toujours justes. Il ne parle pas pour meubler, il parle pour transmettre.

Dans cette première partie de course, nous avons roulé côte à côte sans avoir besoin d’en dire trop. Et pourtant, chaque phrase échangée résonnait. Il a cette capacité à lire l’effort, à poser des mots qui donnent du sens à la douleur. On sent chez lui une forme de spiritualité douce, sans dogme. Juste une connexion au réel, à l’instant, à l’autre.

Quand les jambes sont lourdes et que la pente semble interminable, ce sont parfois ces mots-là qui restent, qui ancrent. L’effort brutal, dans sa forme la plus épurée, a ce pouvoir étrange de transcender l’esprit. Il dissout l’ego, efface les statuts, met les âmes à nu. Il crée des ponts entre les gens qui, dans un autre contexte, ne se seraient peut-être jamais croisés. Et parfois, il en ressort des synchronicités. Des silences pleins de sens. Des échos intérieurs qu’on emporte bien au-delà de la ligne d’arrivée.

Sladian, c’est ça. Un homme qui ne cherche pas à briller, mais qui éclaire quand on en a besoin.

Les premières vraies difficultés

La montée de Clamia. 13 km. Les premiers virages sont presque ludiques, sur petite route. Puis vient la piste. Roulante, mais pentue. Les 13 % sont bien là. Sladian file. Je le perds de vue.

Un petit supermarché au KM 80 fait office de ravito. De l’eau, des sodas. Je recharge, vite. Je repars dans la montée des Granges de la Brasque. 15 km. 8 % de moyenne. Le genre de profil qui use. Pas d’ombre. La chaleur monte. Alerte canicule prévue sur trois jours. Le timing est parfait… pour souffrir.

Rudi van Houts me double. Ancien pro VTT, top 30 en Coupe du Monde, 17e aux JO de Londres. Il me lâche dans un silence poli, fluide, souple. Moi, je me bats avec mes watts et mes pensées. Il a l’air de flotter. Je m’enfonce.

La montée vers la pointe de Séréna est un calvaire. Plus de 11 km. Une piste, encore. Mon corps sature. Je vomis deux fois. Je pousse. Je m’arrête tous les 500 m. Je respire. Je repars. Et quand je bascule enfin, je suis vidé. Plus de jus. Plus de lucidité.

Je descends vers Levens. Un panneau me fait douter. L’envie de tout lâcher surgit. J’appelle ma compagne, mon frère. J’ai besoin d’un autre souffle. Ils trouvent les mots. Alors je repars. J’accepte de subir. J’accepte de pousser. Mais j’avance.

Quand le cerveau déconnecte

Le col suivant est sur route. Je monte comme un automate. Deux gars me passent. L’un me lâche un « Never Give Up ». C’est de circonstance mais ça aura du sens pour la suite. J’arrive en haut. Je m’écroule par terre, devant un portail. Des gens me parlent. Je ne comprends rien. Je fais un signe du pouce. J’ai juste besoin de poser mon cerveau et de faire refroidir le moteur. Triangle de signalisation et warning en place.

Je reste là 15 bonnes minutes, KO. Le cerveau s’est mis en pause. Je descends jusqu’à l’Escarène en me disant que j’aurais la flemme de remonter et que cette descente me mettra dans le sens de la marche et m’enlèvera les doutes. Un SPAR est ouvert. Glace, RedBull, banane, eau fraiche… Didier, de l’orga, est là. On échange vite fait. Il voit à ma tronche que la journée n’a pas été simple.

Je repars. Encore un col. 12 km. 7 %. Je gère. Je respire. Moins de 40°, c’est presque agréable. Je monte. Lentement. Mais je monte.

Village de Peille. Il est 20h. Le soleil descend. J’entame une descente spectaculaire vers Monaco. Le contraste est violent. Après des heures seul en montagne, les klaxons, les fêtes locales, les voitures de sport… tout me semble irréel. Je ne m’arrête pas pour ravitailler. Mes bidons sont chaud mais trop de monde. Trop de bruit.

Je poursuis vers le Checkpoint de Levens. On m’annonce 4e. Inattendu. Je pensais avoir tout perdu. Sladian est là, à peine arrivé avec un autre gars. On mange. On dort. Pas longtemps. Je règle mon minuteur sur 60 minutes.

Jour 2 — Entre lucidité et fatigue

Je me réveille seul après 22 minutes. Sensation bizarre. Pas vraiment reposé, mais pas épuisé non plus. Je repars. On me dit que le Suisse est devant, qu’il n’a pas dormi. Il y a du monde derrière auiss qui ne va pas dormir. Je suis 3e.

Je me trompe à nouveau de route. Mauvais pont. Mauvais réflexe. Je redescends. Je croise deux autres qui ont fait la même erreur. On reprend la bonne trace ensemble.

Les jambes tournent mieux. L’air est plus frais. Mon objectif est clair : arriver avant midi, avant que la fournaise ne revienne. Je monte à rythme contrôlé. Je grappille du temps. Je reprends le Suisse dans une section gravel. Il semble payer sa nuit blanche. On s’échange quelques mots. Je continue.

La descente est longue. Quelques absences. Les yeux ouverts, le cerveau ailleurs. À plus de 60 km/h, il vaut mieux éviter de se louper dans un virage. J’attends presque la prochaine montée avec impatience, pour retrouver un peu de tension mentale.

Les dernières ascensions

La Croix-sur-Roudoule. Petit pont suspendu. Puis un col de 11 km vers Saint-Léger. Les températures remontent. Je trouve une fontaine. L’eau est glaciale. J’en profite. Deux bidons pleins. Corps trempé.

Encore une descente. Un deuxième pont suspendu. Une petite montée vers les Gorges de Daluis. Rouges, sculptées, minérales. Impression de traverser un autre continent.

Puis Guillaumes. Le dernier round : la montée finale vers Valberg. 15 km. Régulier. Mais il fait plus de 40°. Je surveille les écarts. Le 3e est à 6 km. Le 4e loin derrière. Je monte au train. J’essaie de m’asperger souvent. Je prends de l’eau à Péone. Je résiste.

À 2 km du sommet, je passe un coup de fil à ma compagne. Mon GPS m’annonce plus de 8 km restants. Grosse incompréhension. Et si Axel nous avait réservé un final surprise ? Finalement, non. J’arrive à Valberg. Je tourne. Et j’entends la cloche. C’est terminé.

Bilan personnel

29 heures. 420 km. 11 000 m D+. 22 minutes de sommeil.

Une trace sublime. Des vallées sauvages. Des paysages contrastés. Axel a encore trouvé la bonne alchimie. Ce BikingMan 555 m’aura forcé à écouter mon corps et à ajuster ma stratégie. Moins de pauses inutiles. Meilleure gestion.

L’alimentation reste un défi. Trop de barres. Pas assez d’envie. Et la chaleur rend tout plus compliqué. Je garde en tête les mots simples de ma compagne, de mon frère… et ceux de Sladian, qui resteront avec moi longtemps.

Matériel

  • Vélo : Open UP gravel
  • Roues/pneus : ZIPP 303 XPLR SW / Schwalbe G-One RS Pro (45 AV, 40 AR)
  • Transmission : SRAM XX1 mullet 42 / 10-50
  • Bagagerie : Cyclite (légé, pas de cuissard/maillot de rechange)
  • Navigation : Garmin 1040 + Quad Lock / Komoot
  • Confort : potence rehaussée, guidoline Supacaz épaisse
  • Éclairage : Decathlon HL900, Garmin UT800, Varia radar, Decathlon SL110
  • Audio : Shokz Open Run Pro 2

Encore de grosses douleurs aux pieds malgré les semelles Sidas spécifiques.